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Histoire de la gamification

 

Il y a plus de 2000 ans, nos ancêtres Lydiens (vous connaissez l’un de leurs rois, le tristement célèbre Crésus) eurent recours au jeu pour combattre la famine et sauver leur peuple.
Depuis, le jeu a pris un rôle considérable dans nos sociétés. Au début des années 1980, l’apparition des programmes de fidélités des compagnies aériennes telles que United Airlines consacre l’apparition du concept de gamification.
Dans les années 2000, l’émergence d’un web social et ouvert crée un formidable potentiel pour la gamification.
Depuis, les initiatives fourmillent, et certains “futurologues” prédisent un avenir où le jeu envahit notre quotidien…

l'histoire de la Gamification

Les origines du jeu

 

Famine en Lydie

Hérodote nous raconte que les Lydiens, une civilisation indo-européenne de l’Antiquité, furent à l’origine des premiers jeux.
On apprend que les dés, les osselets et les jeux de balle ont été créés, non par loisir, mais pour survivre à une terrible famine :

Sous le règne d’Atys, fils de Manès…

toute la Lydie fut affligée d’une grande famine, que les Lydiens supportèrent quelques temps avec patience. Mais voyant que le mal ne cessait pas, ils y cherchèrent remède et chacun en imagina à sa manière. C’est à cette occasion qu’ils inventèrent les dés, les osselets, la balle et toutes les autres formes de jeux, excepté celui des jetons, dont ils ne s’attribuent pas la découverte. Et pour tromper la faim qui les pressait, voici l’usage qu’ils firent de ces inventions :

On jouait alternativement pendant un jour entier, afin de se distraire du besoin de manger; et le jour suivant, on mangeait, au lieu de jouer.

sablier

Le jeu permit aux Lydiens de subsister ainsi durant dix-huit ans; puis la situation agricole ne s’améliorant pas, le Roi divisa tous les Lydiens en deux classes, et les fit tirer au sort : l’une pour rester, l’autre pour quitter le pays. Celle que le sort destinait à rester, eut pour chef le Roi même, et la classe des émigrants eut son fils, nommé Tyrrhénus. Les Lydiens, que le sort bannissait de leur patrie, allèrent d’abord à Smyrne, où ils construisirent des vaisseaux, les chargèrent de tous les meubles et instruments utiles, et s’embarquèrent pour aller chercher des vivres et d’autres terres. Après avoir côtoyé différents pays, ils abordèrent en Ombrie, où ils se bâtirent des villes, qu’ils habitent toujours à présent…

Source : Histoire d’Hérodote, M.Larcher, Ed. Musier/Nyon, T.1

Le formidable potentiel du jeu

On parle souvent du jeu comme une activité de pur plaisir. L’exemple lydien nous montre que le jeu peut revêtir un sens supérieur. Selon Hérodote, le jeu aurait ainsi permis aux Lydiens de survivre durant 18 ans et c’est aussi par le jeu qu’ils se seraient lancés à la conquête de nouvelles terres. Au-delà du débat sur l’exactitude de ces faits anciens, cet exemple met en lumière l’incroyable potentiel du jeu dans nos vies quotidiennes. C’est en voulant exploiter ce potentiel que les compagnies aériennes lancèrent en 1981 leurs fameux programmes de fidélité…

Emergence de la gamification : le grand jeu des compagnies aériennes

1981 :
United Airlines fait gagner des miles aux globe-trotters

Qui n’a jamais entendu parler des miles, ces « points » distribués aux voyageurs par les compagnies aériennes à chaque vol ? En 1981, la compagnie United Airlines lançait son programme AAdvantage : voler avec United Airlines faisait gagner des points, que les voyageurs pouvaient échanger contre des vols gratuits, et des vacances paradisiaques. Depuis, chaque compagnie aérienne a développé son programme de fidélité, à l’instar d’Air France, via son programme Flying Blue.

La gamification du transport aérien :
M. Martin prend l’avion

M. Martin a décidé de partir à New York.

M. Martin a déjà gagné plusieurs milliers de « Miles-Prime » en voyageant avec Air France. Il a donc intérêt à voler avec Air France, pour continuer sur cette lancée et pouvoir un jour profiter d’un vol gratuit. Fidélisé, il achète donc un vol Paris-New-York chez Air France, ce qui lui fait gagner des miles supplémentaires. Il ne lui manque plus que quelques miles pour partir gratuitement en Martinique…

…mais l’histoire ne s’arrête pas là. Vient le jour du départ pour New York. Arrivé à Charles de Gaulle, bien qu’il ait pris un billet en classe économique, M. Martin s’enregistre directement au comptoir classe affaire. En effet, les 35 000 « Miles Statut » qu’il a accumulé cette année lui donnent le statut Elite « Silver », qui entre autres avantages, lui donne un accès prioritaire au comptoir d’enregistrement quel que soit sont vol. Au comptoir, l’hôtesse lui propose en priorité un siège au confort supérieur, à l’avant de la classe économique…

… en salle d’embarquement, M. Martin fait partie des premiers appelés à l’embarquement, et bénéficie d’une file spéciale, la file « Elite ». Il y croise M. Dupont, un collègue, qui grâce à son statut Elite Plus «Gold » a pu profiter gratuitement du salon Air France en attendant le vol. C’est décidé, l’année prochaine, M. Martin visera le statut Gold. Il lui faudra voyager davantage, si possible dans le cadre de son travail. Récemment, M. Martin a entendu parler du phénomène américain de la « course aux miles » : des voyageurs prêts à rallonger leur itinéraires avec des stop-over dans des villes lointaines dans le seul but de gagner des miles. Certains sites comparent les vols et les destinations et proposent aux voyageurs une liste des voyages au meilleur rapport miles/prix. A creuser, M. Martin garde cela dans un coin de sa tête. En attendant, il s’installe dans la zone « confort » de la classe économique, à quelques mètres de M. Dupont, en classe « business » (En tant que voyageur Gold, M. Dupont a été surclassé)

…Arrivé à New York, M. Martin retrouve ses bagages, les premiers sur le tapis, grâce à leur étiquette « Elite ». Il a en outre eu le droit a un bagage supplémentaire en soute, dont il se servira pour ramener des cadeaux de New York à sa famille et ses amis

Un cas concret de gamification

Les programmes de fidélité des compagnies aériennes sont un exemple flagrant d’offre gamifiée pour rayonner et fidéliser une clientèle. Pour ce faire, un grand nombre d’éléments traditionnels du jeu ont été ajoutés à l’expérience du voyageur :

  • Les points : les miles mesurent l’activité du voyageur. Plus ce dernier voyage, plus il gagne de points, plus il acquière de l’expérience et accède à des récompenses
  • Les récompenses : à partir d’un certain seuil, les points accumulés peuvent être échangés contre des récompenses, ce qui fidélise le voyageur, le poussant à voyager plus pour obtenir des récompenses.
  • Le statut : les miles ne donne pas seulement accès à des récompenses, ils confèrent aussi un statut au voyageur. Ce statut reflète l’expérience du voyageur, et correspond au niveau de ce dernier dans le jeu. Plus un voyageur est expérimenté, plus son statut est élevé, plus il a droit à de nombreux avantages. Chez Air France, chaque niveau donne accès aux avantages des niveaux inférieurs et rajoute des avantages. Par ailleurs, notons que le statut d’un voyageur est clairement apparent au yeux de tous. Ainsi, les voyageurs du niveau « Ivory » constatent « en direct » les privilèges des voyageurs Elite (via l’enregistrement prioritaire, l’embarquement prioritaire…). Au sein des voyageurs Elite, les voyageurs Silver constatent que les voyageurs Gold et Platinum ont un accès gratuit à la Salle d’Attente Elite, etc.
    Chaque voyageur d’un certain statut est donc exposé aux avantages dont bénéficient le voyageur du statut supérieur et on lui rappelle régulièrement les règles à suivre pour accéder à ce nouveau statut.
  • Compétition et communauté : En juillet 2011, un voyageur a atteint le seuil historique des dix millions de miles. Outre une célébrité éphémère, ce voyageur a accédé à de nombreux avantages exclusifs qui n’avaient jamais “débloqués” avant lui. Il s’agit d’un exemple inspirant pour les dizaines de milliers de voyageurs qui participent à de véritables courses aux miles qui ont lieu partout dans le monde. Ces voyageurs n’hésitent pas à s’offrir des allers-retours à Singapour dans le simple but d’accumuler des miles supplémentaires. Le forum Flyertalk réunit une communauté de dizaine de milliers de voyageurs, qui échangent conseils, astuces et petites histoires sur les miles, les programmes de fidélité et le transport aérien en général.

Ces programmes de fidélités (appelés FFP = Frequent Flyer Programs) ont posé les fondements du phénomène de la gamification. On le comprend, ce néologisme désigne un concept que les marketeurs ont depuis longtemps incorporé à leur stratégie.
La véritable révolution, vient de l’opportunité unique que présente le Web social et ouvert qui a émergé ces dernières années. Internet permet de gamifier plus facilement, plus rapidement, et en touchant toujours plus d’individus. A cet égard, le phénomène du social gaming est une incroyable évolution…

La révolution du social gaming

Farmville, ou comment transformer 100 millions d’adultes en planteurs de carottes … virtuelles.

Farmville est l’un des nombreux jeux créés par l’entreprise Zynga sur le réseau social Facebook. Créée en 2007, la société Zynga prépare son entrée en bourse pour une valorisation record qui dépasserait les 15 milliards de dollars.

Gratuits, simples, addictifs, ces jeux sociaux sont un véritable phénomène mondial : au sein des 700 millions d’inscrits Facebook, un sur deux a déjà joué à un jeu social. Mieux, sur ces utilisateurs, la moitié se connecte quotidiennement et exclusivement à Facebook pour jouer à leur jeu préféré.

A l’échelle de la France, le phénomène est identique. 10 millions de Français sont convertis et la moitié d’entre eux joue quotidiennement. Plus édifiant encore, la grande majorité de ces joueurs sont des femmes de +35 ans qui ne jouent pas aux jeux traditionnels sur consoles.

Le succès de ces jeux repose en partie sur le rendez-vous quotidien que les participants doivent respecter s’ils veulent évoluer dans le jeu. Dans Farmville par exemple, une fois que vos carottes ont été plantées, il vous faut vous revenir sur le jeu toutes les 6 heures pour ne pas laisser dépérir vos carottes. La même logique s’applique à vos chevaux, vos petits pois et tout ce sur quoi vous avez investi pour construire la plus belle ferme au sein de votre réseau d’amis.

Le social gaming est un marché en plein boom

Farmville, Cityville, Mafia Wars, Monster World … la liste des jeux Facebook est longue. Zynga est l’acteur principal de ce nouveau marché, suivi de Wooga. Le marché a rapidement attiré les éditeurs traditionnels de jeux vidéo : Electronic Arts a récemment réclamé sa part du gâteau via l’acquisition de Playfish. Mais de quel gâteau parlons-nous ? De la publicité, source de revenu classique pour les blogueurs et autres webmaster ? Pas du tout. En réalité, Zynga réalise l’écrasante majorité de ses revenus (94%) via la vente… d’objets virtuels. Et pour cause, même si les jeux sont au départ gratuits, les joueurs, dont un tiers environ se déclare « addict », sont invités à dépenser de l’argent pour acheter des objets virtuels leur conférant des avantages dans le jeu. Et même si les montants échangés sont souvent proches de 3€, le volume suffit à générer des revenus considérables aux éditeurs.

En exploitant les mécaniques du jeu, le social gaming a transformé les comportements de centaines de millions de personnes dans le monde en générant des revenus impressionnants pour les éditeurs. Quant à l’apport de ces jeux sociaux pour l’humanité, the Times a récemment écrit qu’il s’agissait de la “pire invention que le monde ait connu”. Mais cette révolution du social gaming reste néanmoins une étape importante qui a permis de mettre en lumière les mécaniques à mettre en œuvre pour influencer les comportements humains. Une fois ces mécaniques maitrisées, et c’est le sujet de la gamification, il devient possible d’influencer durablement et positivement les comportements de chacun.
La gamification a ainsi le potentiel d’améliorer l’éducation de nos enfants, notre système de santé, notre façon de conduire… Plus généralement, la gamification permet de résoudre tout type de problèmes en s’inspirant des mécaniques présentes dans les jeux.

Résoudre des problèmes, progresser… La gamification pour nous aider ?

En exploitant les ressorts du jeu via un design adapté, nous pouvons concevoir des solutions innovantes et efficaces pour répondre à une problématique. A travers des exemples éprouvés, voyez comment la gamification peut permettre de :

Sauver des vies, en limitant les excès de vitesse

Additionnez sécurité routière et lotterie et vous obtenez : moins de morts sur les routes. C’est l’équation ambitieuse qu’a voulu démontrer Kevin Richardson à travers son dispositif radar « Speed Camera Lottery ».

Le principe est simple : au lieu de se contenter de flasher les excès de vitesse et de distribuer des contraventions aux véhicules en excès, la « speed camera lottery » flashe aussi les « bons » conducteurs respectant les limitations. Ces derniers sont périodiquement tirés au sort pour gagner une cagnotte…issue des amendes payées par les véhicules en excès. Cette version « gamifiée » de la sécurité routière a été expérimentée avec succès à Stockholm où l’administration se penche déjà sur une version nationale du dispositif. CQFD

Préserver l’environnement à l’instar du programme Recycle Bank

L’organisation américaine Recycle Bank a souhaité gamifier le recyclage et l’économie d’énergie. Comment ? En mettant en place un système de points pour récompenser les gestes « verts » au quotidien. Ces points peuvent être échangés contre des coupons d’achat ou des réductions chez les établissements partenaires de Recycle Bank. Les individus touchés par l’entreprise recyclent deux fois plus, et Recycle Bank développe aujourd’hui des antennes sur l’ensemble du territoire américain.

recycle bank

Sauver le monde et s’adapter aux défis de demain : l’exemple du jeu World Without Oil

En 2007, plusieurs centaines d’individus du monde entier ont été invités à imaginer un monde sans pétrole, dans le cadre du jeu « World Without Oil ». Ce jeu de « réalité alternative », fortement immersif, proposait aux joueurs de vivre dans un monde sans pétrole pendant 32 jours, et de régulièrement faire part de leurs impressions sur un site dédié. Les joueurs étaient quotidiennement nourris d’informations sur la crise pétrolière, et pouvaient échanger les uns avec les autres et comparer leurs nouvelles vies. Considéré comme un succès, le jeu a permis une formidable prise de conscience et généré une riche base de données sur les solutions face à ce défi planétaire et les manières de s’y préparer/adapter. Jane McGonigal, l’une des initiatrices du projet, est convaincue que le jeu est la meilleure réponse que nous pouvons offrir face aux enjeux du 21ème siècle.

On le comprend, la gamification est une tendance forte de ces dernières années. Du simple jeu Facebook aux scénariis d’anticipation, la gamification transforme notre quotidien. Au point que l’on peut imaginer, dans un futur proche, une existence intégralement gamifiée.